Les terrains Renault de Billancourt et de l’île Seguin apparaissent comme l’ultime expression du départ des activités de production industrielle, qui ont occupé, pendant un siècle, la plupart des territoires riverains de la Seine, depuis le XVe arrondissement de Paris jusqu’au parc de Saint-Cloud et au bois de Boulogne. Les autres friches, par fragments successifs, ont été résorbées sans vue d’ensemble. Restent aujourd’hui, le beau site critique du méandre du fleuve, les lieux emblématiques d’une épopée passée, dont le devenir a été l’objet de nombreux débats et propositions depuis dix années.
Pluralité des ambitions
Les enjeux de l’urbanisation nouvelle des emprises dégagées par l’évolution de l’entreprise ne se limitent pas à la seule transformation des espaces de ses premières installations. Les perspectives de projet doivent instruire et éclairer l’ensemble du grand site du Val-de-Seine.
Dans cette optique, les aménagements urbains à engager doivent exploiter les forces d’un contexte particulièrement complexe, partagé entre les grandes qualités du paysage naturel, la disparité des infrastructures et des formes bâties, les attentes des collectivités et celles de l’entreprise propriétaire.
En premier lieu, la mémoire de l’époque industrielle et ouvrière doit se manifester sous plusieurs formes, en raison des dimensions limitées des quelques éléments symboliques méritant d’être conservés.
Mais, les projets coordonnés de Chavannes/Ferrier, Ch. Devillers et FE Grether doivent conjuguer :
- le vaste champ des questions d’environnement,
- l’amélioration des accès et la répartition entre moyens de desserte et transit,
- les orientations et options de mise en valeur d’un paysage sensible,
- la configuration des espaces publics, éléments stables des formes urbaines,
- la répartition des fonctions urbaines et des programmes à édifier,
- les qualités de multiples interventions architecturales,
- les modalités opérationnelles inédites, sans acquisition globale des sols, etc.
Au départ des aménagements, tous ces thèmes ne sont pas traités au même niveau. C’est à partir du cadre des choix essentiels qu’ils pourront être développés successivement et précisés avec la progression du projet urbain.
Ressources du fleuve pour la ville
C’est un trait de notre époque que la plupart des villes imaginent leur renouvellement à partir de leurs rivages maritimes ou fluviaux. Devant les profondes incertitudes de la ville contemporaine, il est vraisemblable que le phénomène urbain doit retrouver une définition par rapport à ce qui lui est extérieur, sur les rives d’horizons qui lui échappent.
Approcher le cours de l’eau, trouver les limites de la ville, parcourir ses marges longitudinales, lieux d’évasion et d’accueil, sont des facultés importantes, qui permettent de relier qualités de situation et imaginaire des promeneurs, dimensions territoriales et aspirations profondes des habitants et des visiteurs.
Boulogne est d’abord caractérisée par la boucle de la Seine, qui ceinture le territoire communal. Au centre du méandre, le fleuve détermine un paysage singulier, où quatre rives séparent et unissent, autour de l’île Seguin, la plaine à Billancourt et les coteaux à Meudon et Sèvres.
Ces données premières conduisent à minimiser la place de la circulation et des infrastructures routières qui ont excessivement occupé les rives. Elles sont le support essentiel d’un projet dont le principe est d’entrecroiser espaces naturels et urbains.
Une démarche de progressivité
Au stade actuel, une lecture architecturale des propositions d’ensemble est prématurée. Le projet à développer est un cadre, encore ouvert, dans lequel peuvent s’investir les aspirations et les contributions multiples de toutes les parties intéressées, acteurs et observateurs.
Le projet urbain, qui est le fruit des nombreuses approches précédentes, rassemble différentes propositions.
Avec P. Chavannes et J. Ferrier, la plaine de Billancourt privilégie la grande berge vouée à la promenade et aux loisirs, étroitement reliée à un parc paysager irrigué par la trame verte de larges cours et d’allées qui pénètrent la profondeur du quartier.
Avec Christian Devillers, le secteur du pont de Sèvres est mis en valeur, entre les espaces regagnés par la suppression de l’échangeur, les relations et les équipements, destinés à intégrer aménagements des années 1970 et les réalisations nouvelles.
Mais le projet comprend aussi la création d’une ligne de tramway, les ambitions de la mairie de Sèvres pour transformer l’entrée de la ville, en transformant l’échangeur, les abords du musée de la Céramique et l’île Monsieur.
L’ile Seguin à interpréter
L’approche de programmation, menée par F Barré et G3A, définit trois vocations pour « une île des deux cultures », arts et sciences réunis, comprenant une cité internationale d’accueil, hébergement et conférences. La Fondation François Pinault pour l’art contemporain engage la démarche. Il n’est pas envisagé d’habitations dans ce lieu d’exception attractif.
L’unité de la forme bâtie sur l’eau, fermée, inaccessible pour tout observateur, constitue le support de toute la mémoire qui est attachée à l’histoire de son exploitation. Le mur façade, paravent en saillie au-dessus du socle, détermine l’image prépondérante de l’île. Cependant, les structures existantes ne peuvent être préservées, ni reconverties, au-delà de quelques fragments limités. Toute nouvelle destination, impliquant plusieurs composantes de programme, bouleversera nécessairement l’ancienne usine. En revanche, il n’est pas envisageable que la forme de l’île soit radicalement supprimée, effacée comme préalable de projet.
Projet à partir du souvenir d’une forme
Ces constats contradictoires conduisent à imaginer une démarche qui rende clairement compte du passage des acquis du passé, vers un renouvellement progressif de l’île. Il est proposé d’interpréter sa forme générale, comme un jeu entre constantes et novations, mesurant et explicitant les changements à l’occasion de chaque transformation, respectant les cinq principes suivants :
- socle, sol et niveau de référence. Les modifications du socle ne sont que partielles et successives, liées aux nécessités de chaque réalisation. Son niveau est maintenu.
- promenade des rives. Une promenade du bord de l’eau est ouverte sur tout le pourtour de l’île. Les rebords du socle reconstruits comportent des rampes et escaliers, ainsi que des locaux liés à la fréquentation de la rive. Enfin, des dispositions appropriées permettent en plusieurs points l’accostage des embarcations.
- façade réinterprétée. La forme de cette paroi, en surplomb sur les rives, est interprétée afin notamment de maîtriser le morcellement des diverses réalisations composantes d’aménagement. Elle est à concevoir en matériau verrier, transparent ou translucide. Pour la Fondation François Pinault, le projet de Tadao Ando joue dans le sens préconisé, avec le dessin régulier d’une façade de même hauteur, mais comme soulevée.
- lieu singulier. Un nouvel espace public est ouvert au milieu de l’île. Ni jardin en pleine terre, ni place publique minérale, ce lieu original, ponctué de grands arbres, comporte un sol composé de grandes dalles minérales et de plantes couvrantes, changeant suivant les saisons.
- l’île dans le paysage. Les visions en défilement qui suivent le cours de la Seine sont privilégiées. En contrepoint, les relations entre intérieur et extérieur, ainsi que de part et d’autre de l’île, s’expriment par des vues cadrées.
Nouveaux accès et place de l’automobile
L’ouverture du site au public, l’installation de plusieurs programmes attractifs rendent nécessaire la création de nouveaux ouvrages de franchissement. Mais, pour limiter la place de la voiture, les accès automobiles sont contrôlés. Un pont nouveau à l’amont du “57 métal” est le seul accès automobile de l’île, alors que les ponts existants accueillent le tramway, les piétons et vélos. Une passerelle établit une liaison directe avec le métro du pont de Sèvres, la gare d’autobus, un parking et l’avenue du Général Leclerc. Vers Sèvres, une autre passerelle relie la rive gauche avec son quai d’accostage, la station du tramway, le parc et les équipements de l’île Monsieur et le musée.
Variations et projet de référence
Les possibilités de construction sont fixées à environ cent quatre-vingt mille m2, alors que les espaces de promenade couvrent cinq hectares. Les cinq principes préconisés permettent certaines variations entre la répartition des programmes et leurs dispositions volumétriques.
Le projet de référence reprend la configuration générale de l’ancienne usine, en volumes allongés et parallèles, avec une grande galerie publique. Plusieurs césures transversales jouent avec la continuité des volumes qui soulignent le pourtour de l’île. Des architectures différentes sont en dialogue autour de l’espace commun singulier.
François GRETHER
Architecte-urbaniste
L’île Séguin, île des deux cultures
Entretien avec François Barré
Alors que le programme de l’île Séguin n’est pas terminé, le projet de la Fondation François Pinault est arrêté. La maîtrise d’œuvre est assurée par Tadao Ando qui a cherché à maintenir la mémoire du site. La singularité de l’île est préservée par le maintien de son socle à près de deux mètres au-dessus du niveau de la Seine et l’organisation de deux promenades, l’une haute sur le socle, l’autre basse au bord de l’eau. L’installation de la fondation sur l’île a constitué une intervention décisive pour son avenir. Elle a permis l’établissement d’un programme global, caractérisé par un pôle culturel, et un pôle scientifique, unis par une cité internationale des arts et des sciences. Cette multiplication des usages, différence fondamentale par rapport à l’utilisation industrielle unique exigeait un principe harmonieux et fédérateur.
Cet aménagement exceptionnel est aussi un espace public à l’échelle régionale. En ce qui concerne la Cité des arts, située à la pointe aval outre la Fondation François Pinault, elle pourrait comprendre des établissements de design, des galeries d’art et des ateliers d’artistes, ainsi qu’un centre consacré à la découverte de la culture scientifique. L’île des deux cultures serait irriguée par environ cinq hectares de promenades et de jardins. Ses cent quatre-vingt mille mètres m2 construits se diviseraient en soixante mille m2 pour la Cité des arts, quatre-vingt mille m2 pour la cité scientifique et quarante mille m2 pour la cité internationale. Le choix de l’architecte pour la collection d’art contemporain de F. Pinault s’est effectué à l’issue d’une consultation très ouverte auprès de Manuelle Gautrand, Steven Hoill, Rem Koolhas, MVRDV, Dominique Perrault et Tadao Ando. Ce fut l’occasion pour le collectionneur d’expliciter sa démarche et, en quelque sorte, de révéler son jardin secret. La collection a été entamée il y a trente ans, selon les goûts et les choix d’une personnalité qui aujourd’hui ressent la volonté de transmettre son histoire et dans cette histoire d’entremêler un regard et un lieu.
Le travail de réflexion s’est poursuivi, en amont, avec chaque architecte, les conservateurs invités à cette occasion, le programmateur Café, des conseillers de F. Pinault, ainsi que les architectes Dominique Lion et Jean Nouvel, afin de proposer un programme architectural pour une série d’œuvres non dévoilées. Ce mode de consultation pour le commanditaire était le plus sûr moyen d’aboutir à un lieu de silence, de calme et de méditation, en correspondance avec la relation qu’il entretient depuis trente ans avec les œuvres retenues. D’ailleurs, si la collection reste évolutive, elle est constituée d’un noyau infrangible et donc inaliénable. La rencontre de F. Pinault avec Tadao Ando va permettre l’aboutissement de ce projet. Plus que la rencontre d’un maître d’œuvre et d’un maître d’ouvrage, elle a été celle de deux personnalités heureuses d’avancer de concert.
L’architecture, développant une morphologie de la verticalité en même temps qu’elle épouse la forme de la pointe de l’île et se lit comme la superposition de trois strates horizontales, engendre la sérénité et la diversité tout en livrant des espaces multiples et mixtes. Elle a la capacité d’accueil chère à F Pinault et sera à l’écoute des œuvres et du fleuve. Grand vaisseau opalescent le jour, la nuit elle vibrera de lumière comme la vie même. C’est une discrète référence à la centrale énergétique, tout comme les murs en lames de verre, allusion à la clôture de Laprade. À l’inverse, les grands emmarchements invitent à la prise de parole et marquent la nouvelle utilisation de la proue. À la poupe, de l’autre côté de la Cité internationale et de ses commerces, la Cité des sciences sera axée sur la communication et les biotechnologies. L’idée de campus envisagée par Jean Eudes Roullier, le tout premier, vient s’étoffer d’une pépinière d’entreprises, de la recherche et de la formation dans les domaines du multimedia, de l’E-learning et des biotechnologies. Le succès du projet tient à son accessibilité et la gestion des flux depuis Boulogne, Sèvres et Meudon sont encore à l’étude.
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